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Voici une lettre écrite par un élève du séminaire à son père le 27 décembre 1823. Deux cents années se sont écoulées et ce document nous emmène aujourd’hui le long des berges de la Sambre avant de remonter jusqu’au cimetière paroissial de Floreffe. Ensuite, nous nous déplaçons de cinquante kilomètres vers le sud-ouest pour rejoindre le château de Soumoy. Pour consulter l’article rédigé à ce sujet, cliquez sur le lien ci-dessous :

Floreffe, le 27 décembre 1823. Des berges de la Sambre au château de Soumoy

Document 16 : Floreffe, le 27 décembre 1823. Des berges de la Sambre au château de Soumoy

27 décembre 1823, voilà plus de quatre ans que le séminaire a pris ses quartiers dans les vieux murs de l’abbaye fondée sept siècles plus tôt par saint Norbert. Sous la direction du chanoine Bellefroid, premier supérieur du séminaire de Floreffe, quinze ecclésiastiques enseignent la religion, le latin, le français, les mathématiques, l’histoire et la géographie. Les cours de langue hollandaise, anglaise, allemande et grecque sont optionnels. En cette période joyeuse des fêtes de fin d’année, les élèves ne rentrent pas chez eux. Afin de célébrer la nativité avec un pieux respect, les élèves entrent en retraite dès le 25 décembre pour une durée de trois jours. Durant ce moment propice à l’approfondissement de la vie intérieure, un garçon âgé de 15 ans s’ennuie. Il prend la plume.

Comment relier la noyade de trois élèves du séminaire dans la Sambre en 1822 à une demeure aristocratique située au centre de la région d’Entre-Sambre-et-Meuse ? Qui sont les premiers élèves de ce nouvel établissement scolaire ? Quel est le ressenti de ces séminaristes qui foulent pour la première fois les pavés de l’ancienne abbaye norbertine ? Comment vit ce nouveau microcosme ?

En histoire, on nomme « ego-document » une source révélant des informations privilégiées sur la personne qui l’a produite et sur son environnement. Ce type de document est particulièrement apprécié en microhistoire, un courant historiographique qui étudie des faits particuliers pour éclairer le contexte qui les entoure. 

Le document que nous vous proposons de découvrir nous emmène le long des berges de la Sambre avant de remonter jusqu’au cimetière paroissial de Floreffe. Ensuite, nous nous déplacerons de cinquante kilomètres vers le sud-ouest pour rejoindre le château de Soumoy. Le document étudié dans cet article est une lettre écrite par un élève du séminaire à son père le 27 décembre 1823. Cet élève se nomme Aimé-Louis Philémon de Robaulx. Il est issu d’une vieille famille noble originaire de la Flandre française.

La lettre présentée est exceptionnelle. Dénichée par hasard sur un site de vente en ligne, quiconque la consulte peut ressentir le passé. La texture du papier, la marque postale « Namen » rappelant que nos régions font partie du Royaume uni des Pays-Bas, le sceau en cire brisé portant les armoiries de la famille, la calligraphie, les références et expressions venues d’un autre temps : ce document rend le passé vivant et lui permet de rejoindre le présent.  

A Monsieur

Monsieur de Robaulx de Soumoy

En son château

A Soumoy

Près Philippeville

Floreffe le 27 décembre 1823

Très cher papa,

Depuis le temps heureux que nos plages ont eu le bonheur de vous posséder quelques heures je n’ai pas eu le plaisir de recevoir de vos nouvelles, et de mon côté je n’ai pas eu le temps de vous en donner. J’ose espérer que l’affaire qui vous amenait à Namur a fécondé votre attente. Nous sommes seulement entrés en retraite le 25 décembre et nous en sortirons le 28, je prie Dieu de faire que je ne m’ennuie pas autant qu’on a coutume de le faire dans ces sortes de choses, j’ai un peu d’espoir car le prédicateur est Mr le professeur de rhétorique qui est, sans le vanter, plus éloquent que Pères Rensou ou Guillaume. Mes places vont à l’ordinaire, j’ai été troisième en version, sixième en vers et cinquième en examen. Nous avons dans la maison une espèce de petit monstre, c’est le fils de M. Beauchau de Namur, qui âgé au moins de quatorze ans n’a pas la taille de trois pieds, il est en outre tout contrefait, en un mot je ne puis mieux vous le comparer qu’à Esope dont il est une image vivante.

On a ramené ici dernièrement la tombe du Fils de Pitteurs, elle est conçue ainsi : Ici repose la dépouille mortelle de Lambert Charles-François Joseph Baron de Pitteurs-Budingen, noyé en se baignant dans la Sambre à Floreffe le 18 juillet 1822. Au bas de la tombe se lisent ces vers :

« De ses jeunes amis il veut sauver la vie

« Hélas avec la leur la sienne lui est ravie !

« Consolez-vous, son sort n’est pas si malheureux

« D’un dévouement si généreux,

« Ayez-en la ferme espérance,

« Le bonheur éternel sera sa récompense

Ils sont très médiocres, je leur préfèrerais même ceux-ci que je crois d’un surveillant de la maison :

« D’un noble dévouement généreuse victime

« Il sauve ses amis et reste dans l’abîme.

Je joins à la présente mon premier essai poétique. Vous y trouverez infailliblement de nombreuses faiblesses, mais je vous prie d’en faire la lecture avec toute l’indulgence du lecteur le plus modéré. Faites d’ailleurs attention, cher Papa, que ce sont les premiers vers français que je fais. Si c’était en latin, j’aurais pu m’en tirer un peu moins mal y étant plus accoutumé et l’expression étant infiniment plus facile en cette langue qu’en la nôtre. Vous serez peut-être surpris que je fasse intervenir ici les Dieux du paganisme, mais vous savez que cela est permis aux Poètes pour embellir leurs fictions. Vous verrez aussi que j’ai croisé et orné les objets à l’instar du simple rimeur. Je me suis borné à vous souhaiter de longues et heureuses années, car il faudrait avoir le talent de Virgile ou de Boileau pour dignement vous témoigner ma reconnaissance pour toutes les bontés infinies que vous ne cessez d’avoir pour moi et pour tous les cadeaux que vous m’avez faits. Aussi je promets que je serai toujours prêt à faire tout ce qui vous sera agréable, pour suppléer un peu à mon impuissance.

Comme le beau temps continue et que l’on est assez facile pour accorder les permissions, j’ose me flatter du doux espoir que si vous aviez la bonté d’écrire d’ici à une dizaine de jours, pour me redemander, à M. Bellefroid ou à M. Batardy, vous pourriez me procurer le plaisir d’aller vous faire une petite visite de quatre ou cinq jours. Si cela peut réussir il est inutile de m’envoyer chercher, car monté sur une vieille haquenée, noble émule de Rossinante, que mes camarades louent presque toujours pour aller à Namur, je pourrai faire le trajet d’ici à Soumoy en toute sûreté.

Le maître de musique m’a rapporté une flûte des plus belles et des meilleures pour la somme de 60 florins. Toutes mes paroles ne sauraient vous rendre compte de la reconnaissance dont je suis pénétré pour ce cadeau, c’est pourquoi j’attends quelque occasion pour vous la signaler.

Puisse maintenant le juste ciel nous seconder dans notre noble entreprise, pour moi en attendant votre missive, je tomberai, en vous embrassant de tout mon cœur de me montrer votre affectionné et votre tout dévoué fils.

A. de Robaulx de Soumoy

Veuillez, cher papa, présenter de ma part à ma chère maman, mes frères et sœurs et à mon cher oncle Ferdinand l’amitié la plus sincère et l’attachement le plus inviolable.

Je viens de recevoir ceci à propos la lettre de ma chère maman, elle peut se rassurer sur cette correspondance prétendue avec M. De Chesbiet, qui est parti d’ici dans le courant de l’été, j’étais lié avec lui et il m’a écrit cette seule fois. Je crois inutile de me renvoyer la paillasse. Si, cher papa, vous êtes absent à la réception de la présente, que ma chère maman daigne écrire à votre place à M. Bellefroid ou à M. Batardy pour le sujet proposé.

Des berges de la Sambre au cimetière paroissial de Floreffe

Le 18 juillet 1822, à quatre heures de l’après-midi, plusieurs élèves se noient dans la Sambre. Une petite feuille manuscrite reprenant les noms, âges et classes des élèves nous éclaire sur l’identité des victimes. Signée par le délégué de la paroisse de Floreffe J.-J. Martin, cette feuille est une copie de l’acte de décès du registre paroissial. Conservée aux archives du séminaire de Floreffe, elle est reproduite ci-dessous.

Copie manuscrite de l’acte de décès des trois élèves noyés signée par J.-J. Martin. ASF, boîte 7, art. 56/7.

Les élèves noyés sont au nombre de trois. Il s’agit de Charles de Pitteurs de Budingen, originaire de Jennevaux Saint-Germain, de Léon Rancourd, provenant de Celles et de Samuel Evrard, originaire de Dinant. Charles de Pitteurs-Budingen, âgé de 14 ans et demi, est élève en petite figure. Samuel Evrard, âgé de 19 ans est élève de grande figure tandis que Léon Joseph Rancourd, âgé de 17 ans, est élève de grammaire. Il faut noter que l’âge des trois élèves est assez élevé par rapport à leur classe : Charles est en retard d’une année puisqu’il a 14 ans et se trouve en première année ; Samuel a 19 ans et se trouve seulement en deuxième année ; Léon est élève en troisième année alors qu’il est âgé de 17 ans.

Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’Aimé-Louis mentionne l’arrivée de la pierre tombale de Charles près d’un an et demi après le drame. Le décès de trois élèves par noyade au pied du séminaire a forcément été un événement marquant pour la communauté scolaire. Aimé-Louis a sûrement bien connu Charles de Pitteurs de Budingen. Les deux élèves ont le même âge et proviennent du même milieu aristocratique. Lors de l’année scolaire 1819-1820, les deux élèves partagent les cours de la classe préparatoire. L’année suivante, Aimé-Louis Philémon de Robaulx accède à la classe de grande figure sans devoir passer par la classe de petite figure tandis que Charles de Pitteurs-Budingen, contraint de demeurer en classe préparatoire, est rejoint par son frère Gustave d’un an son cadet. Notons que ce saut d’une année dont témoignent les palmarès conservés aux archives du séminaire de Floreffe illustre le niveau d’éducation et le potentiel intellectuel du jeune Aimé-Louis. Remarquons également qu’à l’époque, les six classes de l’enseignement secondaire possédaient chacune un nom. La première était la classe de petite figure, puis suivaient les classes de grande figure, grammaire, syntaxe, poésie et rhétorique.

Pour l’année scolaire 1821-1822, les palmarès nous apprennent qu’Aimé-Louis obtient le premier prix en histoire et en géographie pour la classe de grammaire. Aucune trace des frères de Pitteurs de Budingen n’est observable dans les palmarès de cette année. Cela s’explique évidemment par la disparition de Charles au cours de l’année 1822. Malgré la mort de son frère aîné, les palmarès de l’école attestent que Gustave de Pitteurs de Budingen reste scolarisé au séminaire durant les années qui suivent le drame. Gustave est donc présent à l’école lorsque la pierre tombale de son frère Charles est ramenée à Floreffe.

Le registre des morts de la paroisse de Floreffe de 1818 à 1856 précise que l’inhumation des élèves s’est déroulée le 20 juillet dans le cimetière de Floreffe, soit le surlendemain de leur décès. Pourquoi ces trois élèves originaires de villages de la région namuroise et hennuyère sont-ils enterrés dans le cimetière de Floreffe ? Dans son article paru dans les Nouvelles Glanes en décembre 2008 et intitulé Décès et coutumes funéraires à Floreffe dans la première moitié du XIXe siècle, l’abbé Lombet explique qu’à cette époque, « les morts ne voyageaient [et] ne traînaient pas ». Contrairement à l’usage actuel, les défunts étaient enterrés à l’endroit de leur décès et l’inhumation avait lieu le lendemain de la mort. Le léger retard dans l’inhumation du corps des adolescents tend à souligner le caractère exceptionnel de la situation.

Communication sur la noyade de trois élèves du séminaire, Courrier de la Meuse, 21 juillet 1822, p. 4

Sans doute a-t-il fallu laisser le temps à l’école de prévenir les parents. Un article du Courrier de la Meuse paru le 21 juillet 1822 atteste que tous les parents des élèves de Floreffe ont été prévenus « par exprès » le 19 juillet dès cinq heures du matin du drame survenu la veille. Autrefois, l’appellation « exprès » désignait l’agent de services postaux chargé spécialement de porter un envoi à son destinataire.  L’article souligne que les élèves se sont avancés dans la rivière malgré l’interdiction émise par les professeurs. Ayant retroussé leur pantalon, les élèves avaient seulement l’autorisation de « faire trempette ». Comme le montre la gravure de Madou qui date du premier quart du XIXe siècle, les berges de la Sambre n’étaient pas aménagées à cette époque. La profondeur et la vitesse du courant fluctuaient énormément d’un endroit à l’autre. C’est seulement entre 1825 et 1829 que furent entrepris les travaux d’aménagement et de canalisation du cours d’eau.

L’ancienne Abbaye de Floreffe (Prov. de Namur). Gravure de Madou d’après un dessin d’Otto de Howen. Coll. J.-F. P.

Dans sa lettre, Aimé-Louis explique qu’on a ramené récemment à Floreffe la tombe de Charles de Pitteurs-Budingen. Notre hypothèse est que la famille a fait tailler une pierre tombale qui fut placée sur la sépulture des défunts. La pierre tombale réalisée par l’école n’était peut-être pas au goût de la famille qui a tenu à mettre en valeur le courage et le dévouement de l’un des leurs. Il est impossible de savoir si la situation décrite sur l’épitaphe correspond à la réalité. Charles est le plus jeune des trois élèves décédés. Nous l’imaginons difficilement porter secours aux deux autres. D’autant que l’article du Courrier de la Meuse précise bien que seule une partie des élèves les plus âgés avait été autorisée à barboter dans les bords de Sambre. L’arrivée à Floreffe puis le placement de la pierre ont sûrement ravivé des souvenirs au sein de la communauté scolaire qui a probablement formulé de nouvelles prières à l’égard des trois défunts.

La tombe dont parle Aimé-Louis Philémon de Robaulx est décrite 20 ans plus tard dans un ouvrage intitulé Tombes, épitaphes et blasons, recueillis dans les églises et couvents de la Hesbaye rédigé par Léon de Herckenrode de Saint-Trond. Grâce à cette description, on apprend que l’épitaphe de la pierre tombale était surmontée des armoiries de la maison de Pitteurs. L’ouvrage de Léon Herckenrode réalisé au milieu du XIXe siècle entend décrire les monuments et sépultures funéraires pour raviver le souvenir des grandes familles nobles de la jeune nation belge. Aussi, faut-il avoir à l’esprit que cet ouvrage de 800 pages réalisé par un baron s’inscrit pleinement dans la construction d’un récit historique comme un roman national tendant à exalter la place de la noblesse. De même, taillée dans la pierre, la mise en exergue du comportement du fils de Pitteurs-Budingen dans ce drame témoigne de l’esprit de caste qui règne à l’époque. Voici la notice du défunt élève décrite à la page 364 :

Lambert-Charles-François-Joseph, noyé dans la Sambre, à Floreffe, en voulant sauver un de ses amis. Son monument funéraire portant en chef les armoiries de la maison de Pitteurs, se voit à Floreffe ; on y lit cette épitaphe :

De ses jeunes amis il veut sauver la vie,

Hélas ! avec la leur, la sienne lui est ravie.

Consolez-vous ; son sort n’est point très-malheureux,

D’un dévouement si généreux,

(Ayez-en la ferme espérance 🙂

Le bonheur éternel sera sa récompense.

Qui pourrait former d’autres vœux ?

R. I. P.

D. O. M.

Ici repose la dépouille mortelle

De Messire LAMBERT-CHARLES-FRANCOIS-JOSEPH

Baron DE PITTEURS-DE-BUDINGEN

noyé en se baignant dans la Sambre, à Floreffe.

Le 18 juillet 1822, âgé de quatorze ans et demi.

De Herckenrode, L., Tombes, épitaphes et blasons, recueillis dans les églises et couvents de la Hesbaye, auxquels on a joint des notes généalogiques sur plusieurs anciennes familles qui ont habité ou habitent encore ce pays, Gand, 1845.

A ce jour, la dernière trace de la tombe des élèves noyés peut être trouvée dans les registres du Conseil communal de Floreffe concernant les années 1876 à 1883. On y apprend que les trois élèves noyés dans la Sambre ont été inhumés dans le mur de la rampe d’escalier du cimetière. C’est probablement à cet endroit que se trouvait la pierre tombale décrite. Cette mention dans les registres est inscrite dans la description d’un différend opposant l’administration communale au séminaire à propos de la porte et de l’escalier de communication existant alors entre le cimetière de Floreffe et la grande cour des élèves. A la date du 11 juillet 1879, le conseil communal procède à un rappel des faits :

Une tombe d’anciens élèves du Séminaire de Floreffe noyés accidentellement dans la Sambre avait été fixée dans le mur de la rampe de l’escalier du cimetière de la paroisse où existe un sentier de passage qui donne accès dans la cour de l’établissement par une porte ménagée dans le mur qui clôture ce champ de repos.

La pierre tumulaire étant tombée en ruine, M. le Supérieur fut prié à plusieurs reprises de relever la tombe des anciens élèves de son établissement ou du moins de réparer la brèche que sa chute avait occasionné à la maçonnerie. La pierre en question ne fut point relevée, encore moins la brèche du mur réparée. Postérieurement et par décision du 19 juillet 1877 le conseil communal, voulant indemniser la commune des frais d’entretien et de réparation des maçonneries dudit cimetière, décida l’établissement d’une taxe de cinquante francs au profit de la caisse communale pour le placement de pierres tumulaires qui seraient fixées à l’avenir dans les murs de ce lieu de repos des morts de la paroisse

Le lundi 4 février 1878, Henri Godfurnon et Henri Pirard furent également enterrés dans le mur de la rampe de l’escalier du cimetière. Ces deux élèves s’étaient noyés le 31 janvier 1878, non pas dans la Sambre, mais dans l’étang de Soye. Refusant de payer la taxe de 50 francs pour le placement d’une pierre tumulaire sans en avoir obtenu l’autorisation, le supérieur du séminaire, Monseigneur Tagnon, fait enlever clandestinement du mur la tombe des deux élèves, en passant par l’escalier et la porte menant à la cour des élèves. Ce différend mènera à la décision prise par la commune, le 27 juin 1879, de démolir la rampe d’accès au séminaire et de supprimer le sentier qui y conduit en faisant boucher la porte.  Cet événement est décrit en trois actes dans un article très fouillé de Jean Bodson intitulé « une tombe insolite » dans les deux Bulletins des Anciens de l’année 2013.

Plan de l’Eglise et du Cimetière de la paroisse de Floreffe, 7 décembre 1874. ASF, boîte 19, art. 287/6.

Sur le plan ci-dessus, le mur mitoyen entre le cimetière et le séminaire correspond au côté droit du triangle. La porte et un escalier de douze marches longeant le mur du séminaire sont bien visibles. La tombe des élèves noyés dans la Sambre se trouvait dans le mur de cette rampe d’accès. Comme l’indique Jean Bodson :

« Aujourd’hui encore, alors que la porte de communication, l’escalier et la rampe d’accès ont disparu, on peut toujours voir quatre pierres rectangulaires gravées, insérées dans le grand mur de soutènement, dont la base se situe à deux mètres du sol. Ce sont les dalles funéraires de cinq religieux prémontrés qui furent parmi les derniers de l’abbaye. […] En comparant l’emplacement de ces quatre dalles avec le plan de 1874, on peut déduire qu’elles se trouvaient à proximité du bas de l’escalier, près de la rampe d’accès ».

Le mur de soutènement. La porte de communication se trouve à gauche de la photo à l’endroit de la végétation. On observe encore deux pierres alignées verticalement correspondant au jambage de la porte. Un escalier partait de cette porte, longeait le mur vers la droite de la photo et aboutissait à proximité des quatre dalles

La tombe des trois élèves noyés dans la Sambre en 1822 a probablement disparu avec la démolition de la rampe d’accès. Les registres du Conseil communal de Floreffe des années suivantes ne donnent aucune indication au sujet de ce qu’il est advenu de la pierre tombale.

Aimé-Louis Philémon de Robaulx de Soumoy

Né à Surice le 18 avril 1808, Aimé-Louis Philémon est le fils du propriétaire du château de Soumoy Louis Maximilien de Robaulx et de Jeanne de Lamock de Sohier. Le village de Soumoy qui fait partie de la commune de Cerfontaine depuis la fusion des communes de 1977 est situé dans l’ouest de la Province de Namur.

Louis Maximilien de Robaux (1785-1857) est le fils du bourgmestre de Soumoy Eugène Philémon de Robaulx (1752-1822). Il remplace son père au maïorat de Soumoy à la mort de ce dernier en 1822. Il occupera la fonction de bourgmestre jusqu’en 1852.

Armoiries de la famille de Robaulx : d’Azur au chevron d’or accompagné de 3 chausse-trappes.
Devise : quocumque ferar erectus (Partout où je tombe, je reste debout)

Nous n’avons pas trouvé de traces d’Aimé-Louis Philémon avant son arrivée à Floreffe mais plusieurs hypothèses peuvent être émises quant à l’enseignement primaire qu’il a suivi. Probablement a-t-il pris des cours dans une école privée ou reçu ceux d’un précepteur au château. Peut-être s’agit-il d’un précepteur laïc ? Certaines sources affirment qu’Alexandre Lebègue, le receveur de la commune, enseigne à Soumoy à partir de 1816 et qu’il reçoit 100 fr à titre personnel de la part du châtelain mayeur. Au début du XIXe siècle, il est en effet difficile d’imaginer le fils aîné d’une famille noble côtoyer les enfants du village sur les bancs de l’école. Encore faut-il que cette école existe ! A Soumoy, l’enseignement existait depuis le XVIIe siècle mais ne bénéficiait pas d’un local spécifique. Il était assuré par des pasteurs qui étaient des chanoines prémontrés de l’abbaye de Bonne-Espérance. Se basant sur un rapport de l’administration, Jean-Philippe Body, historien soumoisien, affirme qu’il n’y a ainsi pas d’école dans le village en 1809. Par conséquent, sans doute sensibilisé à l’éducation grâce à la naissance de son premier enfant, Aimé-Louis Philémon, c’est le bourgmestre Louis Maximilien de Robaulx lui-même qui prête un local situé derrière l’église pour y accueillir la première école du village. Les leçons sont dispensées par un pasteur qui est à la fois instituteur et curé de la paroisse.  A partir de 1815, une école primaire s’installe donc à quelques mètres du lieu de résidence du jeune Aimé-Louis sans que nous puissions affirmer avec certitude le type d’enseignement qu’a suivi le jeune garçon.

Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour justifier le choix de Floreffe comme établissement scolaire secondaire pour le fils aîné de la famille de Robaulx. En effet, le petit séminaire se trouve à proximité de Namur où le père de Aimé-Louis est membre des Etats provinciaux pour l’ordre des campagnes, puis pour l’ordre équestre. D’ailleurs, dans les premières lignes de sa lettre, Aimé-Louis fait mention d’une visite de son père au séminaire alors qu’il était de passage dans la région namuroise pour affaire. Le jeune élève qui connaît bien le latin utilise le mot « plage » (du latin plaga) qui est un synonyme de « contrée » ou « région » en ancien français. Dans une lettre de 1819 adressée aux familles et conservée aux Archives du grand séminaire de Namur, le chanoine Bellefroid vante les mérites d’un déménagement du petit séminaire de Namur à Floreffe. Le supérieur du petit séminaire y souligne notamment la facilité d’accès grâce à la proximité d’importantes voies de communication : « Floreffe n’est distant de Namur que d’une lieue et demie, chemin des piétons, et pour une messagerie que nous nous proposons d’y établir. Ainsi communications journalières avec Namur. La grande route pour les voitures, plus longue d’environ 20 minutes, est celle qui se dirige sur Fosses, et de là vers Châtelet, Philippeville, etc. » Or, le village de Soumoy ne se situe qu’à une dizaine de kilomètres de Philippeville.

La proximité que nous pouvons entrevoir entre la famille de Robaulx et les chanoines prémontrés de l’abbaye de Bonne-Espérance assurant l’enseignement à Soumoy peut également être un facteur explicatif. En 1819, à l’heure de trouver un établissement scolaire pour le jeune garçon, les bâtiments de l’abbaye de Bonne Espérance n’accueillent pas encore de petit séminaire (ce sera le cas seulement à partir du mois de mai 1830). Grâce aux souvenir des prémontrés, le petit séminaire de Floreffe apparaît peut-être aux yeux de la famille de Robaulx comme le seul établissement respectable digne d’y suivre un cursus secondaire ? D’ailleurs, dans son Histoire de l’abbaye de Floreffe de 1892, le chanoine Barbier note que « sous la direction de M. le chanoine Bellefroid [le petit séminaire de Floreffe] jouissait déjà d’une grande réputation dans la Belgique ». 

Vous avez sûrement remarqué la qualité de rédaction de l’auteur âgé de quinze ans. A l’époque, l’enseignement était axé sur la littérature. Pour se moquer d’un camarade turbulent, le jeune élève fait ainsi référence à la Vie d’Esope, une biographie comique grecque antique. De même, il compare le cheval loué par les élèves du petit séminaire de Floreffe pour faire le chemin vers Namur à Rossinante, le cheval de Don Quichotte. Les élèves passaient des concours de versification latine, ce qui ne semble en rien impressionner Louis Robaulx de Soumoy. Habitué au latin, il considère que cette langue est plus facile que le français pour s’exprimer. Un poème aujourd’hui disparu était joint à la lettre. Comme l’auteur l’indique, ce poème devait être destiné à souhaiter ses meilleurs vœux à ses parents et à les remercier. Le jeune garçon informe également son père des résultats dernièrement obtenus : « troisième en version, sixième en vers et cinquième en examen ». Au terme de l’année scolaire 1823-1824, Louis Robaulx obtient d’ailleurs le premier prix des classes de poésie. En versification, il obtient le deuxième accessit, une distinction décernée aux élèves qui ont le plus approché du prix.

Classement général pour la classe de Poésie. Distribution solennelle des prix, p. 5. ASF, Arm G (boîte verte) .
Résultat des Vers pour la classe de Poésie. Distribution solennelle des prix, p. 5. ASF, Arm G (boîte verte).

On apprend par ailleurs que les petits séminaristes entraient en retraite le jour de Noël pour une durée de trois jours durant lesquels le jeune Aimé-Louis trouve le temps long et en profite pour rédiger cette lettre. Étonnamment, le beau temps qui règne en ce mois de décembre 1823 semble propice aux permissions accordées par le supérieur Bellefroid ou le préfet de discipline, l’abbé Batardy. Il faut rappeler que les vacances sont rares : elles ont lieu à Pâques et en septembre sauf si des arrangements particuliers sont pris avec les parents. Ainsi, le jeune garçon demande à ses parents d’écrire aux deux responsables de l’école afin d’obtenir la permission de revenir quelques jours au château. Il en profitera pour remercier ses parents pour sa nouvelle flûte et revoir sa famille. En 1823, lorsqu’il rédige ces quelques salutations à leur égard, Aimé-Louis Philémon est l’aîné d’une fratrie de quatre sœurs et trois frères. Au total, les parents d’Aimé-Louis auront dix enfants.

Dans ses testaments, Aimé-Louis Philémon Auguste a légué le contenu de sa bibliothèque à la société archéologique de Namur et les manuscrits originaux de ses travaux publiés à la Bibliothèque royale. Le tableau ci-dessus fait partie d’un ensemble plus vaste dans lequel sont représentés les parents de Robaulx. Ils ont sans doute été légués avec le contenu de la Bibliothèque. Aimé-Louis Philémon de Robaulx. Peinture sur toile d’Albert Roberti, 1856. Coll. Fondation archéologique de Namur.
Le château de Soumoy à la moitié du XXe siècle. Edit. : Mson Dujeux-Charloteaux
Le château de Soumoy a probablement été érigé par Jacques de Robaulx dans la première moitié du XVIIe siècle. Construit selon un plan cubique, il est cantonné de deux tours carrées et coiffé d’un haut pavillon d’ardoises avec épi bulbeux. Le château est accompagné d’un ensemble de dépendances. Photo F.D.

Aimé-Louis a poursuivi une carrière juridique. Docteur en droit à l’Université de Liège en 1829, il devient ensuite substitut au commissaire auprès du tribunal de Saint-Hubert en 1831, puis procureur du Roi auprès du même tribunal en 1833. Avec la perte par la Belgique de la partie allemande du Luxembourg en 1839, sa fonction est supprimée. Il devient alors auditeur militaire de la province de Namur puis de la province de Brabant en 1848. Le 1er avril 1866, Aimé-Louis est nommé substitut de l’auditeur général, fonction dont il n’héritera réellement qu’en 1872. Il a également été membre du Conseil provincial de Luxembourg entre 1836 et 1839 puis de Namur entre 1844 et 1847. Par arrêté royal du 18 avril 1880, il est promu au grade de grand officier de l’Ordre de Léopold. C’était aussi un des héraldistes les plus érudits de son temps, membre du Conseil héraldique de Belgique. Aimé-Louis a également eu une activité littéraire prolifique. On notera notamment plusieurs publications historiques :

  • Chronique de l’abbaye de Saint-Hubert, dite Cantuarium, Bruxelles, 1847.
  • Etude historique sur les tribunaux militaires en Belgique, Bruxelles, 1858.
  • Considérations sur le gouvernement des Pays-Bas, 3 tomes, Bruxelles, 1872.
  • Histoire de l’archiduc Albert gouverneur général puis prince souverain de la Belgique, Bruxelles, 1870.
Faire-part nécrologique d’Aimé-Louis Philémon de Robaulx de Soumoy. Coll. F.D.

C’est son frère, Ferdinand, chef de station à Forest, et son épouse qui annoncent le décès de l’homme de loi. Aimé-Louis est décédé à Bruxelles le 9 décembre 1881 à l’âge de 73 ans. Il a été inhumé le 14 décembre 1881 dans le caveau familial qu’il avait fait construire pour ses parents et ses enfants en 1862 à l’extrémité du cimetière entourant l’église de Soumoy. L’église Saint-André est l’ancienne chapelle du Château familial. Les de Robaulx étaient une famille de libres penseurs faisant peut-être partie de la franc-maçonnerie. Plusieurs membres de la famille dont Aimé-Louis ont été enterrés civilement. Il semble que ce soit l’ancien magistrat qui ait, le premier, décidé de renier sa foi catholique alors qu’il avait reçu une éducation chrétienne classique. Souvenez-vous, dans sa lettre, Aimé-Louis se plaint déjà de l’ennui qui le guette face à la retraite qu’il doit suivre après la fête de Noël. En tout cas, les faire-part nécrologiques de ses parents indiquent qu’ils sont décédés « pieusement à Soumoy muni[s] de tous les secours de la religion ». Dans les deux cas, un service funèbre accompagne l’inhumation. Par respect pour ses parents, Aimé-Louis a sans doute tenu à ériger une croix sur le caveau familial même si plusieurs de leurs descendants font l’impasse sur la célébration liturgique. Pour l’anecdote, Jean-Philippe Body note que les Soumoisiens appelaient le caveau de la famille de Robaulx « le trou des chiens » car on y enterrait les gens comme des chiens sans passer par l’église.

Vue aérienne du château de Soumoy. Au centre, accolée aux bâtiments qui jouxtent la cour du château, on aperçoit l’église Saint-André, l’ancienne chapelle du château. Combier imprimeur Macon.
Caveau de la famille de Robaulx se trouvant à l’est de l’ancien cimetière du village entourant l’église Saint-André. En 1848, le bourgmestre Louis Maximilien de Robaulx avait cédé deux ares de terrain pour agrandir le cimetière, à condition de lui réserver une place à l’est pour sa sépulture. Le caveau, surmonté d’une imposante croix, porte les armoiries de la famille. Photo F.D.

Sources :

BARBIER, V., Histoire de l’abbaye de Floreffe, de l’ordre de Prémontré, 2 tomes, Namur, 1892.

BODY, J.-P., Soumoy, Cerfontaine, 2008.

Bulletin des Anciens et des Parents du Séminaire de Floreffe, 2013.

De Herckenrode, L., Tombes, épitaphes et blasons, recueillis dans les églises et couvents de la Hesbaye, auxquels on a joint des notes généalogiques sur plusieurs anciennes familles qui ont habité ou habitent encore ce pays, Gand, 1845.

Nouvelles Glanes, décembre 2008.

PACCO, J.-F., dir., Floreffe. Neuf siècles d’histoire, Namur, 2021.