Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent

Voici un article de Jean-Pierre Poncin, tiré du dernier Bulletin des Anciens (juillet-décembre 2015). Il nous donne des nouvelles d’Étienne Montfort (rhéto 1976).

C’est le titre d’un poème de Victor Hugo, que l’on trouvait jadis dans les Exercices Grammaticaux de Grevisse à l’usage des élèves de première (en ce temps-là, on disait sixième). Étienne MONTFORT (rhéto 1976) a-t-il lu ce poème quand il usait ses fonds de culotte sur les gros bancs de l’étude des “petits”? En tout cas, c’est exactement la maxime qui lui correspond, quand on lit l’article que Le Soir lui a consacré dans une de ses séries d’été (3.8.2015).

Personnellement, je garde le souvenir d’un garçon intéressé par les études parce qu’il le fallait bien, mais travailleur en diable et consciencieux. À cette époque, Floreffe comptait beaucoup de fils de fermiers dans ses rangs (j’ai plein de noms en tête), et c’était amusant de les voir se retrouver à la récré pour causer ferme et “bièsses”, commenter les résultats du dernier concours de bétail et se lamenter sur le mauvais temps car, c’est bien connu, “les fermiers se plaignent toujours”. Ce sont les mêmes qui, une fois rentrés chez eux, tapaient valise et mallette dans un coin et couraient enfiler une salopette, pour se consacrer à leur loisir préféré, “la besogne”, respirer la bonne odeur des étables et cajoler les bêtes. Le paradis enfin retrouvé. Ils sont nés là-dedans, ils l’avaient dans la peau.

L’article parle d’Étienne comme ayant été tour à tour “chercheur-fermier, fermier-chômeur, pharmacien-fermier”. Son parcours aura été tout sauf un long fleuve tranquille.

Au sortir de Floreffe, il décroche un graduat en chimie, et tout de suite un job dans
une entreprise pharmaceutique dans le Brabant wallon. Grâce à son travail et ses compétences, il grimpe rapidement les échelons. De technicien de laboratoire, il devient responsable d’une équipe qui se consacre à la recherche de nouvelles molécules. En même temps, il doit gérer les états d’âme de son personnel, et ça, c’est autre chose. Il se sent plus en connivence avec les bêtes qu’avec les gens. D’ailleurs, les bêtes, il ne les a pas abandonnées. Chaque jour, il fait deux journées en une. C’est un boulimique du travail. 15 heures à bosser ne lui font pas peur, au contraire. C’est à l’étable qu’il se décharge du stress du labo. À l’époque, la pression est forte sur les firmes pharmaceutiques. Étienne change régulièrement de patron au gré des restructurations et  craint de plus en plus pour son emploi. À cela s’ajoute un grand malheur : il perd son épouse, décédée brutalement, et lui laissant un petit garçon de 8 ans, Adrien. Et ce qu’il redoutait arrive: son dernier employeur, américain, ferme le site où il travaillait. Un coup dur de plus. Des centaines d’emplois passent à la trappe. Il y a de quoi sombrer dans le désespoir. Comment se reconstruire? Étienne ne baisse pas les bras. Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. Avec son fils, il s’investit plus que jamais dans le travail à la ferme. Heureusement, Adrien partage la passion de son père pour le bétail. C’est peu dire que père et fils dorlotent leurs bêtes. “La qualité, on ne l’obtient que si l’on prend soin de son bétail. Les vaches doivent se sentir comme à l’hôtel.” Un hôtel all in, ça va sans dire.

Paradoxalement, Étienne est au chômage, mais il ne chôme pas. Il retrouvera du travail un peu par hasard, et grâce à une réunion des anciens de Floreffe. Il rencontre un vieux copain de sa rhéto, Jean-Marie Hubaux, directeur des ressources humaines à la clinique Saint-Luc à Bouge. Celui-ci est à la recherche de quelqu’un pour gérer la pharmacie de l’hôpital. Connaissant les antécédents d’Étienne en pharmacie, il lui propose le poste. Étienne accepte. Le voici avec de nouvelles responsabilités, où ses compétences font merveille. De son bureau, il dirige toute la logistique de la pharmacie de l’hôpital. Peu de contacts humains, mais qu’importe. Tous les jours il retrouve ses bêtes qu’il bichonne avec une passion intacte, et opiniâtre. Il exhibe fièrement un petit album qui contient non pas des clichés d’enfance, mais des photos de toutes les bêtes qu’il a présentées à différents concours et qui ont obtenu des prix. Troisième à Libramont, il faut le faire! Après avoir été copieusement chahuté par la vie, Étienne a retrouvé un bel équilibre en compagnie d’un fils aujourd’hui âgé de 28 ans, digne fils de son père. En contemplant un tel parcours de vie, on ne peut être que sidéré et admiratif. Chapeau, Étienne!

– Jean-Pierre Poncin

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